dimanche 28 mai 2017

Trail des Cèdres - La 2ème étape de 25km ou l'immersion totale dans le trail

Il n'est pas encore 6h du matin. J'ouvre les yeux. Je suis content, j'ai dormi d'un seul trait. Je regarde autour de moi. La chambrée dort toujours; les forçats du Moyen Atlas se reposent. Je suis étonnamment surpris par l'absence de courbatures et par l'état de fraîcheur de mes jambes. Je souris tout seul et me surprends à me motiver et à m'encourager à voix haute.

Je me lève et je sors apprécier la fraîcheur vivifiante de ce samedi matin. C'est un jour magique. Le jour où je suis vraiment complètement dans la course, complètement plongé dans la course, complètement absorbé par la course, complètement envahi par la course, complètement ravi par la course .... Nous sommes en plein milieu de l'épreuve : hier, c'était l'étape d'ouverture et demain sera l'étape de clôture .... Je me sens immergé et tout le monde ne parle plus que de la course .... Je marche tranquillement dans le bivouac, les coureurs se réveillent un à un, tout sourire, prêts à mordre encore une fois à pleines dents dans cette 2ème étape.


Nous discutons joyeusement depuis un petit moment dans notre bivouac. Nous échangeons, mes compagnons et moi-même sur notre état de fatigue, sur les pièges à éviter aujourd'hui, sur l'attitude à adopter pour garder un peu de fraîcheur pour la dernière. Nous demandons, tels des disciples devant leur maître, des conseils et des informations sur les difficultés de l'étape aux 2 coureurs ayant déjà fait le trail. C'est deux-là n'attendaient que ça : ils s'empressent de nous abreuver d'informations de toute sorte; ils sont contents de partager avec nous; ils sont contents de pouvoir nous aider; ils sont contents de donner et nous sommes contents de recevoir.

Les retrouvailles!
Il faut se hâter ce matin, le départ ne se fera pas du bivouac. Les organisateurs vont nous transporter à quelques kilomètres pour prendre le départ. Le départ se fera d'Ifrane; nous allions quitter le cocon de la course pour un petit moment. Le déjeuner est vite pris, ensemble comme hier; le petit déjeuner est le dernier moment de calme et de silence de cette matinée. Nous retournons nous préparer dans la chambre. J'enfile mon t-shirt flanqué du même dossard qu'hier, je souris, je vais encore te porter pendant 2 jours, murmure-je en souriant à mon dossard.  J'enfile mon sac à eau dorsal. Je grince des dents, je viens de me souvenir qu'il est percé mais je n'ai pas d'autre solution. Je vais encore une fois devoir gérer ma course et ma quantité d'eau. À ce moment précis, le souvenir douloureux de ma chute d'hier me traverse l'esprit. Je tourne mon bras pour regarder mes plaies, elles commencent à cicatriser, je touche mon avant-bras, une douleur fulgurante me fait porter un masque de douleur un bref instant. La douleur n'est plus lancinante mais j'ai, un bref instant, peur de devoir supporter une douleur tenace pendant plusieurs kilomètres. Je finis par penser à mes jambes qui m'ont fait l'agréable surprise d'être fraîches et disponibles ce matin. Je retrouve le sourire. Je retrouve mon entrain. Je retrouve mon envie d'en découdre. Je retrouve ma passion de la course. Je mobilise toute mon énergie pour l'étape d'aujourd'hui.

Encore quelques minutes avant le départ .... Je retrouve un Runner Dar Bouazza qui est venu faire les 2 dernières étapes avec moi. Nous échangeons, je lui parle encore de l'étape d'hier, du bonheur que j'ai eu à la courir. La foule de départ grossit, nous sommes beaucoup plus nombreux qu'hier .... Les coureurs se retrouvent, les coureurs se motivent, la musique et les encouragements des organisateurs crépitent depuis un bon moment dans les hauts parleurs accrochés au-dessus de nos têtes. Quelques badauds réveillés par ce tintamarre matinale sont venus assister au départ de la 2ème étape.  Ce départ sera définitivement moins intimiste que celui d'hier .... Je regarde autour de moi. Je croise des visages connus, certains m'ont dépassé hier, j'ai dépassé certains hier, certains ont fait un bout  de chemin avec moi. Je suis prêt .... J'attends impatiemment la sirène de départ .... Le départ est donné, la troupe de coureurs se met en branle, les petits groupes se forme, la montagne nous attend, les chemins sinueux et rocailleux seront nos prochaines aires de jeu.

La course débute par 2 kilomètres et demi de bitume sur un léger faux plat montant; j'en profite pour taquiner mon compagnon Runner Dar Bouazza en lui disant qu'il fallait attendre la terre et la rocaille avant de se prononcer. Je respire mieux qu'hier. Il me semble que je me sois légèrement acclimater à l'altitude. Je suis content. Je me sens frais. Je sens mes jambes en bon état. Je suis heureux d'aborder la 2ème étape avec autant de fraîcheur. Je ne m'y attendais pas. Je repense à ma stratégie, je vais encore l'appliquer durant cette étape. Je me donne 3 heures pour arriver au bout des 25 kilomètres.

Les Runners Dar Bouazza

Les choses sérieuses commencent, les choses agréables débutent : nous abandonnons le bitumes pour nous lancer sur un chemin de terre. La course commence vraiment à ce moment-là pour moi. L'odeur et la goût de la poussière m'enivrent et me jettent d'un seul coup dans la course. 3ème kilomètre, 1ère difficulté de la journée .... Je ralentis et j'entame la montée de 500 mètres en marchant .... Stratégie conservatrice mais salvatrice, je n'ai de cesse de me le répéter. S'en suis un magnifique parcours de 2 kilomètres dans une forêt de cèdres et de sapins où se succèdent de façon effrénée et saccadée des montées et des descentes recouvertes de feuilles d'arbres mortes .... J'entends le vent chanter entre les branches, j'entends les oiseaux m'encourager, j'entends mes pas faire parler les feuilles mortes .... Je me sens en forme. Aucune douleur ne vient perturber ma course, je sens aussi léger que l'air, je tiens l'allure, je ne regarde plus ma montre, je décide de me lâcher et de prendre du plaisir. Je me sens bien dans cette colonne de coureurs qui traverse la forêt telle un cortège ferroviaire sans fin. Nous sommes tous souriants, nous nous encourageons mutuellement. 5ème kilomètre, la forêt devient moins dense, le chemin de course devient plus large, nous entrons sur le mythique plateau où s'entraînent les élites de la course à pied et du trail au Maroc, je me sens pousser des ailes. Encore 3 kilomètres pour atteindre le 1er point de ravitaillement .... Je continue à boire avec parcimonie l'eau de mon sac à dos .... Je sens la fuite dans mon dos .... J'espère en silence que le sac tiendra jusqu'au bout de la course. Il fait chaud et l'eau sera encore un élément important aujourd'hui. Je suis encore surpris par l'état de fraîcheur de mes jambes, j'en suis quasiment euphorique.

Le bonheur de courir!
7ème kilomètre .... Nous sommes 3 à courir en groupe depuis un petit moment .... D'un coup, un d'entre nous disparaît de mon champ de vision, sa chute fut soudaine, sa chute fut brutale .... comme la mienne. Je m'arrête, je reviens sur mes pas, je lui tends les mains, je l'aide à se relever, je le pousse à reprendre la course .... Ma douleur du bras a repris .... Le fait d'avoir tirer mon compagnon de course à se relever a réveillé une douleur endormie depuis ce matin .... Je serre mon bras contre moi, je retrouve une position qui adoucit la douleur, je continue à courir je ne pense qu'à l'arrivée, je pense aux prochains 19 kilomètres qui me séparent de la fin de la 2ème étape.

Le ravitaillement est enfin là . Je commence par boire, puis ensuite boire et enfin boire. Il fait chaud, tout le monde se jette sur les bouteilles d'eau. Mon ami Runner Dar Bouazza me retrouve au ravitaillement. On discute. On se plaint de la chaleur, on parle de la beauté du parcours. Je me rend compte que j'aime la course. J'avale rapidement quelques petites bouchées sucrées : dattes et figues sèches .... J'empoigne 2 quartiers d'orange. Je me relance dans ma course, je recommence à taquiner ce chemin inhospitalier de mon étape du jour. Je remercie mes jambes et je continue à sourire. Je suis vraiment heureux de les sentir à mes côtés. Nous formons, mes jambes et moi, un couple formidable en cette belle journée estivale. Nous gambadons ensemble, nous avalons les kilomètres, nous sommes devenus les meilleurs amis du monde.

La course continue, je ne sens plus les kilomètres. Du 10ème au 15ème kilomètre, j'ai été dans un état d'euphorie sans pareil .... L'ivresse des profondeurs à 1500 mètres d'altitude, un comble. Ma douleur au bras n'est qu'un mauvais souvenir, mon sac à eau tient le coup tant bien que mal et en plus je juge mon allure excellente. Que du bonheur .... La topographie du parcours est belle et variée .... Les lézards me croise du regard et les scarabées se mettent sur le côté pour me laisser passer, je suis mon propre champion. J'ai couru hier, je cours aujourd'hui et je courrai demain et tout ça avec le même dossard, avec les mêmes amis pour une seule et unique médaille. Il y a beaucoup de monde sur le parcours et j'ai l'impression d'être seul au monde. J'aime la course, je kiffe ce trail.

Un beau couple : mes jambes et moi!

Bientôt le second et dernier ravitaillement de la journée. Au 16ème kilomètre, j'entre encore une fois dans une forêt dense où il est parfois difficile de retrouver les repères du parcours. La parcours est globalement descendant, étroit, quasiment à flanc de montagne. Il faut surveiller chacun de mes pas, il faut éviter de glisser, il faut éviter de tomber, il faut éviter de s'affaler comme hier. Le sol est glissant, jonché de feuilles mortes, il faut se baisser souvent pour éviter les branchages, il faut fréquemment enjamber les racines protubérantes, il faut éviter de tomber, il faut surtout éviter de réveiller la douleur de mon bras. Entre le 17ème et le 18ème kilomètre, le parcours se résume à une descente infernale où tous les muscles des du corps sont sollicités pour éviter la glissade : les jambes freinent et s'accrochent tant bien que mal, les bras se balancent pour tenir l'équilibre, le dos et le ventre se raidissent pour assurer un maximum de stabilité .... Au bout de cette descente infernale se dresse une pente au bout de laquelle est juché le 2ème point de ravitaillement. Je serre les dents et profite de mon inertie de descente pour attaquer cette montée en courant : je me suis promis de passer tous les portiques des ravitaillements en courant. Les muscles des cuisses bandés, j'entame une ascension de 100 mètres. J'arrive exténué en haut de la pente. Je n'ai même pas la force de boire tellement mon souffle est coupé. Je me tiens les hanches, je regarde les bouteilles d'eau .... Il m'a fallu 1 minute au moins pour pouvoir assouvir ma soif. Je me verse une bouteille d'eau sur la tête. Le soleil tape fort. Avec cette montée abrupte, j'ai la curieuse impression de m'être rapproché du soleil tellement il fait chaud. Comme un rituel maintenant rodé, je bois, j'avale des fruits secs avec ferveur et j'embarque avec moi mes désormais célèbres quartiers d'orange.

Mon quartier d'orange!
Plus que 7 kilomètres à parcourir, plus que 7 kilomètres à tenir. Je profite du ravitaillement pour regarder ma montre. Je suis au 18ème kilomètre après 2 heures de course. Je suis en avance de 1 kilomètre sur mes prévisions de départ. Je suis content. Mon sourire s'élargit encore plus. Je peux souffler un peu. Je peux m'économiser pour demain. A ce rythme, je tiens mon objectif. Je décide de ralentir un peu pour garder des forces pour demain. Au 19ème kilomètre, nous entamons tous une descente encore une fois infernale, pleine de graviers qui nous interdisent tout répit pendant la descente et qui nous forcent à accélérer, à sautiller, à descendre comme des vrais traileurs. Cette descente est longue, rocailleuse, périlleuse, poussiéreuse, glissante et se termine au fond d'une petite vallée traversée par une rivière, rivière où je reviendrai plus tard plonger mes jambes pour les soulager de leurs courbatures.

Je traverse la rivière en sautillant et me retrouve sur un faux plat ombragé où il est terriblement agréable de courir. Le décor champêtre par excellence : ombre apaisante, eu qui roucoule, terre meuble qui amortit les appuis et atténue les chocs. J'ai, un moment, pensé que la course était devenue plus facile, que la course était terminée.  20 kilomètres de courses sont bouclés dans un enthousiasme sans limite mais sont aussi le moment de 2 surprises fort peu agréables : mon sac à eau est désormais vide et une montée de plus de 1 kilomètre se dresse devant moi. La pente est tellement longue et forte que je n'arrive pas à en voir le bout. Mon compagnon de bivouac m'avait averti et m'en avait parlé. Je l'avais sans doute oublié au fur et à mesure que j'avançais dans cette 2ème étape. Le choc de notre rencontre, la pente et moi, vient brutalement me rafraîchir la mémoire. Mais il ne faut pas lâcher, alors mains appuyées fortement sur les cuisses, j'attaque avec ardeur cette satanée pente. Mes jambes répondent présentes, j'en suis encore étonné, j'en suis plus que ravi.  La montée, que dis-je l'escalade, est longue, je continue à la gravir d'un pas décidé étant déterminé à vaincre le dernier obstacle majeur de cette étape. Je grimace, je souffle, je transpire,  je résiste. J'ai avalé la pente. Je ne peux m'empêcher de me retourner une fois en haut le sourire au lèvre aussi fier et content qu'un médaillé olympique. Je m'engage alors d'une foulée décidée et apaisé dans une clairière herbeuse.

Il fait chaud, mon sac à eau est vide, j'ai la gorge sèche, j'ai 54 kilomètres dans les jambes, j'ai un bras qui devrait me faire mal, j'ai encore 3 kilomètres pour finir ma journée, une étape de 20 kilomètres m'attend dès demain matin mais je suis heureux, mon allure me ravit, mes jambes sont mes meilleures amies, je partage ma joie avec des coureurs que je ne connais pas mais que l'épreuve de la course rapproche de moi. Ces moments de course sont là pour me faire comprendre pourquoi je cours, pourquoi j'use mes chaussures, pourquoi je supporte les crampes et les ampoules d'après course.

Encore 2 kilomètres et demi avant de lever les bras. Je reconnais le parcours. Je suis déjà passé par là. Ces derniers 2500 mètres sont les mêmes que ceux d'hier .... Je me surprends à accélérer. Je connais le reste du parcours. Je sais ce qu'il me reste à courir. Mon allure est bonne, j'ai même l'impression de reconnaître les arbres, les pierres, les insectes, les plantes .... Je suis tellement heureux d'être au bout de mon effort que mon allure en devient folle. Je veux voir cette ligne d'arrivée, je veux lever les bras, je veux me préparer à courir la 3ème étape. Encore une descente, encore un virage à droite, encore un virage à gauche  et puis la dernière montée avant de passer sous l'arche de l'arrivée. J'accélère, j'accélère encore, j'accélère avec le sourire. Je sais l'arrivée proche, je sais la délivrance prochaine. Je bombe fièrement le torse, je lève les bras, je souris, je suis heureux. Je viens de terminer ma 2ème étape du Trail des Cèdres en 2 heures et 57 minutes. Pari tenu.

Les 25km sont derrière moi!

Je prends de l'eau, je retrouve des visages connus, je retrouve mes amis, je prends quelques fruits secs. Je m'assois pour réduire une fatigue soudaine. Je sens mes cuisses se durcir. Je sens les crampes assaillir mes cuisses, je sens les crampes prendre d'assaut mes jambes. Mes jambes ont tenu 57 kilomètres en 2 jours, un exploit pour moi, un défi pour mes jambes. Mes jambes se révoltent désormais .... Mes jambes crient au secours, mes jambes commencent à me rappeler à l'ordre. Je sens une boule dans le ventre, toute l'eau ingurgitée me pèse sur l'estomac .... Mon corps se révolte, mon corps se rebiffe, mon corps sonne l'alarme. Je l'ai poussé dans ses derniers retranchements .... La révolte gronde. Je tente d'oublier mes petits malheurs, je suis heureux d'avoir fini, encore une étape sans médaille. Demain l'apothéose ....

L'après-midi sera simple, glaçage à la petite rivière traversée entre le 19ème et le 20ème kilomètre, massage sous la tente médicale, sieste de récupération. Peu de résultats, les crampes tiennent toujours, mes jambes se sont révoltées .... Mon corps se révolte, je ne comprends plus rien .... J'ai mal à l'estomac, même l'eau me donne des troubles gastriques. Mon corps s'est révolté de la plus farouche des manières. Je préfère ne pas dîner, j'essaye de boire par petites gorgées, je dois boire, je dois m'hydrater.

La cryothérapie naturelle! 

Je découvre mon classement de la journée : 9ème de ma catégorie en cette fin de 2ème journée. C'est la première fois que j'apparais sur un classement. Je suis fier et euphorique mais j'ai encore des crampes dans les jambes et à l'estomac. Je rentre dormir en espérant un meilleur lendemain. Demain la médaille, demain la délivrance.

Mon corps se révoltera toute la nuit.

Cette course a eu lieu le 20 mai 2017 : 2ème étape des 3 étapes du Trail des Cèdres au Maroc.
2ème étape : Ifrane - Ras El Ma - 25km - D+ 450m

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