mardi 30 mai 2017

Trail des Cèdres - La 3ème étape de 20km ou la vengeance du corps

Je l'ai eu!!
La nuit fut interminable, entrecoupée, hachée, douloureuse et parfois angoissante. La révolte de mon corps a duré une bonne partie de la nuit. Je me réveillais souvent quasiment toutes les heures avec un gargouillis gastrique indescriptible qui n'augurait rien de bon, qui me faisait grimacer, qui me faisait sursauter à chaque fois.
Mes cuisses aussi faisaient de la résistance : elles étaient dures comme de l'acier, les crampes refusaient de me lâcher, les crampes refusaient de partir. Je m'attendais aux crampes car c'était la 1ère fois que je cumulais autant de kilomètres en 2 jours mais je m'attendais pas aux crampes gastriques. Je me forçais presque à chaque fois à me rendormir espérant un improbable sommeil réparateur.


Ma nuit fut courte, trop courte. J'aurais tellement voulu avoir quelques heures de plus pour me remettre. Malgré tout, ses sentiments étaient confus : j'étais en même temps heureux de démarrer au plus tôt pour en finir avec la course et tellement désireux de reporter le dernier départ au plus tard possible pour avoir un peu plus de répit. Mon ventre m'inquiétait. Mon corps et ma tête étaient complètement dissociés : le premier disait non à la course et la seconde répondait oui à l'effort.


Il est 6 heures du matin encore  une fois. Je décide de me lever quand même pour aller marcher, pour bouger un peu; peut-être que cela me soulagera. Mes jambes sont lourdes et les marches sont difficiles à gravir. Une petite fièvre me tient, une certaine faiblesse semble prête à me prendre d'assaut à tout moment. Mon corps se révolte et me le fait comprendre. Nous étions un beau couple le 1er jour : mes jambes et moi. Nous sommes devenus un agréable trio le 2ème jour : mes jambes, ma tête et moi. Nous sommes, en ce 3ème matin, un incompatible quatuor : mes jambes, ma tête, mon ventre et moi.
Mes souvenirs de ma 1ère course d'il y a un peu plus de 2 ans à Bouskoura reviennent me hanter : j'avais couru la fameuse course de Bouskoura de 15 kilomètres et j'avais quasiment mis 10 jours à m'en remettre .... Crampes, douleurs aux articulations, muscles endoloris .... J'ai eu droit à toute la panoplie du débutant coureur.

Je suis sur la ligne de départ. Je suis prêt à en découdre avec cette 3ème étape, je suis prêt en découdre avec mon corps, je suis prêt pour aller chercher la médaille. L'ambiance de la dernière étape est là, les coureurs sont impatients de démarrer, de se lancer dans la forêt, d'avaler ces derniers 20 kilomètres .... Je me lance corps et âme dans la course, jamais cette expression ne s'est aussi bien appliquée. Pour la 1ère fois, je me lance dans une course avec uniquement mon mental .... Plus rien ne suit, seul le mental tient encore le coup.


Je démarre, je regarde ma montre pour ne pas adopter une allure trop forte. Je discute ou plutôt je me force à discuter avec mes amis de la courses, mes compagnons de chambre, mes collègues dans l'effort. Je veux oublier la distance, je veux berner mon corps, je veux me donner l'illusion que tout est le bien dans le meilleur des mondes. Mais la révolte couve encore, des signaux corporels viennent de temps à autre me rappeler ma nuit, mes ennuis gastriques et le cumul de kilomètres auquel j'ai assujetti mon corps depuis 3 jours. 

Les premiers kilomètres se passent bien, le parcours alterne forêt ombragée et clairières ensoleillées. C'est toujours agréable de courir dans la nature. Je regarde autour de moi, je profite du paysage en espérant que ces images auront un quelconque effet hallucinogène et anesthésiant sur mon corps.... 3 kilomètres sont déjà derrière moi, je me surprends à me parler, à m'encourager. Je m'encourage quasiment pendant 2 kilomètres, je souris devant cette situation qui, vue de l'extérieur, peut paraître d'une absurdité sans limites. Je continue de courir, des côtes et des descentes légères se succèdent et rythment ma dernière étape. Mes jambes me font mal mais je tiens bon. Je suis content, mon mental prend le dessus depuis le début de la course.


Les Runners Dar Bouazza

Le 10ème kilomètre se profile, plus que 10 kilomètres pour accrocher la médaille. Une côte assez forte et assez longue se dresse soudain. Je sens toutes mes articulations grincer, je sens mes cuisses durcir plus, je sens une douleur au ventre. Je mets cela sur le compte de l'effort pour escalader la côte. Mon allure décroît, mon allure chute, je n'arrive plus à pousser sur mes jambes. Jusque-là mon corps se révoltait, maintenant il se venge, il prend le pas sur mon mental, mes jambes me semblent éloignées de plusieurs mètres de ma tête tellement il m'est devenu difficile de leur imposer un quelconque rythme. Je ne cours plus que par réflexe. Je vois le haut de la côte, je me dis que je reprendrai le dessus en haut de la côte. Je serre les dents, j'ignore mes douleurs, j'avance refusant de voir la vengeance inattendue de mon corps.

La côte est finie, j'espère une délivrance. Ma souffrance continue, ma souffrance ne fait que commencer. Mon allure chute, je n'en tiens même plus compte. J'espère juste traverser cette forêt et en finir. Il fait beau mais je ne m'en rend plus compte. Les coureurs me parlent mais j'ai de la peine à leur répondre. Mon corps a pris le dessus. Mon corps se venge, mon corps a savamment orchestré sa vengeance. Mon mental est en détresse. Seule une petite voix venue du plus profond de ma tête continue, avec difficulté, à me crier : tu y arriveras, tiens bon. Mais plus les kilomètres avancent ou plutôt plus les mètres avancent, plus cette petite voix perd de son intensité et de sa vigueur.  

Au 13ème kilomètre, j'entame la traversée du fameux plateau de Ras El Ma où s'entraînent nos gloires nationales de la course à pieds et du trail. Je vois la colonne de coureur devant moi, j'aperçois au loin le point de contrôle avec le ravitaillement. Cette vue dégagée de la course dure 1 kilomètre et demi et me semble interminable et ressemble à mes yeux à une terrible torture : dans la forêt mon horizon visuel était court et cela rendait mon effort acceptable pour avancer, avec cette vue dégagée, l'effort pour atteindre le point de ravitaillement me semblait impossible.   

Je finis par arriver au point de contrôle. encore 5 kilomètres et demi. Je suis faible. J'arrive à peine à boire. Impossible de garder quoi que ce soit dans mon estomac. Ce dernier refuse tout : et l'eau et la nourriture solide. Une coureuse se rend compte de ma détresse et me verse une bouteille d'eau sur la tête. C'est la seul façon de me rafraîchir. Mon corps se venge et ne tolère absolument plus rien.

Une dernière côte de 500 mètres m'attend après le point de ravitaillement. Je la gravis tant bien que mal aidé par la fraîcheur de l'eau sur ma tête. S'en suit une descente longue d'un kilomètre. Je me laisse partir sur cette descente. J'essaye de courir un peu. Déshydraté et en hypoglycémie, je n'y arrive plus. Je trottine à peine. Ma lente agonie vient de commencer. J'ai à peine la force de m'en rendre compte. Je continue à trottiner. Je refuse de m'arrêter. Mon sac à eau est vide depuis longtemps et je ne m'en suis même pas rendu compte. Je veux juste ne finir. Je crois encore en moi. Mon corps ne croit plus en moi et me mène la vie dure. Je sens mon esprit partir et je ne sens plus mes jambes. J'essaye de garder la tête haute pour éviter de trébucher dans la forêt. Il reste encore 3 kilomètres et une chute serait fatale. Je suis seul depuis un long moment ou tout au moins je crois être seul. Certains coureurs me dépassent mais ils passent telles des ombres autour de moi. Je ne vois plus rien. Je ne pense à plus rien. Je veux seulement en finir. Je veux seulement y arriver. Je suis encore fier de moi même dans cette longue agonie. Je crois en moi, je crois en moi, je crois en moi.


Que de douleurs et de fierté!

Il reste 1 kilomètre, je suis en ville, je suis sorti de la forêt. 2 coureurs me rejoignent. 2 visages connus. Ils m'encouragent, ils me soutiennent. Ils insistent pour que je reste avec eux. Ils me forcent à repartir. Ils m'aident à me relancer. Je ne sais comment les remercier. L'arche d'arrivée apparaît telle une délivrance. La fin est proche. Je vois au loin une personne tenir ma médaille. Nous courons à 3 et nous finissons à 3 les bras levés au ciel. Les 20 kilomètres du 3ème jours sont derrière moi. Je suis envahi par une émotion indescriptible. Je sens mon coeur battre la chamade. La 3ème étape est finie. Mon Trail des Cèdres en 3 jours de 77 kilomètres est terminé.

J'accroche ma médaille autour de mon cou. Je suis fier de moi. Je ne peux retenir mes larmes. Je suis fier de moi. Cela a été dur, douloureux, terrible, gratifiant, récompensant. Je crois en moi et je suis fier de moi.  

Mes coups de coeur
Le parcours est magnifique. Les organisateurs essayent au mieux de rendre le séjour agréable. Les ravitaillements sont très bien fournis autant en eau qu'en nourriture solide. L'esprit des traileurs rend cette course à étapes très agréable. L'ambiance au camp est bonne enfant. Le fait de loger proche des départs et des arrivées des étapes facilitent grandement le séjour. La nourriture est bonne, convient à la course et est suffisante.
Je remercie autant les coureurs que j'ai rencontrés (et qui sont devenus mes amis) que l'organisation pour avoir fait leur maximum pour rendre cette course agréable.
Un dernier coup de coeur pour l'équipe médicale qui était aux petits soins pour traiter nos différents bobos.

Mes coups de gueule
Il y avait un manque flagrant d'informations rendant parfois l'organisation un peu chaotique. Il aurait fallu faire un peu plus de briefing quotidien, afficher les informations pour les rendre accessibles et pourquoi donner un maximum d'informations en amont sur le site internet de la course. Beaucoup trop d'informations contradictoires circulaient dans le camp. Le double enregistrement en 2 étapes à Ifrance et à Ras-El-Ma (camp de la course) est à mes yeux complètement inutile. Il vaut mieux tout rassembler au même endroit pour faciliter la vie aux coureurs.
Étant loin de tout, il était impossible de s'acheter de l'eau. L'eau était difficilement accessible en dehors des repas et il fallait toujours attendre assez longtemps pour pouvoir se procurer de l'eau.
Enfin, un dernier coup de gueule contre certains participants qui jettent leurs bouteilles vides le long du parcours. Cela me semble inadmissible surtout qu'il est ensuite très difficile pour les organisateurs de nettoyer le parcours étant donné la difficulté d'accès. Soyons responsables pour retrouver tous nos parcours de trail propres et non souillés par du plastique inutile. Gardez vos bouteilles vides à la main et jetez-les aux points de contrôle.

Ma recommandation
C'est une course à faire au moins une fois (ou plusieurs car je vais la refaire l'année prochaine). Le paysage vaut la peine, le parcours est époustouflant et les organisateurs veulent faire mieux. Et il faut participer aux 3 jours complets car la 1ère étape est la plus belle.
Il faut cependant prévoir des chaussures de trail adéquates, se renseigner sur les médicaments de base à prendre en cas de crampes, de douleurs gastriques ou de blessures. Il faut aussi se préparer adéquatement pour supporter le cumul de kilomètres et les 3 jours de courses consécutifs, avoir des vêtements chauds pour le soir et avoir un bon sac à eau.



Cette course a eu lieu le 21 mai 2017 : 3ème étape des 3 étapes du Trail des Cèdres au Maroc.
3ème étape : Ras El Ma - Ifrane - 20km - D+ 250m

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