vendredi 26 mai 2017

Trail des Cèdres - La 1ère étape de 32km ou la découverte du trail par étape

Prêt à en découdre!
Finalement tout sera synonyme de découverte pour moi durant ce Trail des Cèdres; du début à la fin, de la remise du dossard à la remise de la médaille .... Expérience nouvelle, rencontres extraordinaires et avalanche d'émotions.
3 jours au cours desquels le corps a été poussé dans ses derniers retranchements, 3 jours au cours desquels le mental s'est battu sans arrêt allant jusqu'à décrocher à certains moments, 3 jours au cours desquels la souffrance a souvent fait équipe avec la joie et l'euphorie.

Jeudi après-midi, la table de la nouveauté est mise .... Je confirme mon inscription et on me tend un badge à porter autour du cou. Je ne m'y attendais pas. Puis je récupère mon dossard. Jusque-là rien de particulier. Je pensais que cela était fini comme à l'habitude. On me demande ensuite de tendre la main pour me passer un bracelet qui ne me quittera plus pendant 3 jours. J'ai d'ailleurs attendu d'être retourné chez moi avant de le couper. L'impatience venait de faire place à la fébrilité.

Un badge, un bracelet, un dossard, un sac à eau dorsal .... Je suis prêt à en découdre avec ce satané trail. Je suis prêt à avaler les 77 kilomètres. Je suis prêt à vivre une nouvelle expérience. Je suis encore sur un petit nuage; 3 jours de courses, 3 jours d'effort, 3 jours de plaisirs m'attendent .... En ce jeudi soir, nous sommes une poignée à errer dans le bivouac. Je prends le temps de respirer et de jeter un long regard circulaire sur le village du trail. Tout est nouveau; tout est atypique; tout me fait frissonner; tout est là pour nous, cette poignée de traileurs décidés plus que jamais à défier la montagne. Je suis venu seul pour la 1ère fois, pas de famille, pas de Runners Dar Bouazza .... Encore une 1ère .... Décidément tous les éléments sont là pour rendre cette course inoubliable, unique et en même temps déstabilisante et attirante.

On me montre mon bivouac. Je découvre, encore abasourdi par l'ambiance de l'accueil, l'espace et les compagnons qui feront ma chambrée pendant les prochains 3 jours. Spartiate, rectangulaire et simple, la chambre grouille déjà d'impatience; l'ambiance est au trail, l'ambiance est au dépassement de soi; l'excitation est palpable. Les sourires habillent tous les visages. Je suis accueilli chaleureusement, d'un regard simple, d'un regard dénotant une camaraderie instinctive .... Nous allons tous fouler les pentes de la forêt du Moyen Atlas; nous sommes déjà camarades de fortune et d'infortune. L'accueil est chaleureux, je m'en souviendrais longtemps. L'accueil est amical, j'en suis déjà imprégné.

Du haut de ma quarantaine, je suis intimidé. Je découvre l'impressionnante brochette de traileurs avec lesquels je partagerai les prochains jours : un marathonien des sables, un ironman, un athlète qui a participé aux 9 éditions du Trail des Cèdres, 3 marathoniens avec des performances qui me font encore rêver. 6 personnes qui m'ont accueilli simplement, chaleureusement, amicalement. 6 personnes qui n'ont eu cesse de m'encourager durant toute la course. Je suis honoré d'avoir fait leur connaissance.
Nous parlons longtemps de nos expériences, nous partageons nos appréhensions du Trail des Cèdres, nous plaisantons, nous réussissons à détendre l'atmosphère. Nous sommes prêts, nous sommes forts, nous sommes là pour un maximum de plaisir, nous sommes ensemble pour nous entraider, nous sommes là pour aller au bout des 77 kilomètres, nous sommes là pour savourer notre tranche de bonheur.

L'après-midi passe vite. Je bois beaucoup d'eau. Le dîner est servi. Le dîner est simple et fait pour des coureurs. La plupart des tables sont silencieuses .... Les coureurs font lentement connaissance. Nous sommes peu nombreux. L'étape de demain est dans tous les esprits. Les 32 kilomètres de demain envahissent nos rêves. Je regarde autour de moi : les yeux brillent de bonheur, les sourires sont larges, l'émotion est palpable. Tous les coureurs se projettent déjà dans leur 1ère étape, peaufinent leur stratégie de course anticipent les difficultés du parcours.

Ma nuit fut courte et entrecoupée par de fréquents réveils. Je suis debout aux aurores. Je sors du bivouac, l'air est frais et sec. L'altitude va peser sur ma course. Je fais quelques pas puis je vais me rafraîchir le visage avec l'eau glacée de la montagne. La chambre se réveille tranquillement, chacun vaque à ses occupations matinales. Chacun a ses habitudes, ses routines, ses objets fétiches, ses façons de faire baisser le stress. Je retourne me préparer, je retourne enfiler mon équipement de course. Il fait encore frais. Je me couvre. Ça y est : j'y suis, 3 étapes m'attendent, plus rien ne m'arrêtera. Une 1ère chose me frappe, je le savais déjà mais j'y suis directement confronté en ce froid matin : j'ai des chaussures de course sur route, tous mes compagnons ont des chaussures de trail. J'espère, en silence, que ce détail ne rendra pas mon trail trop dur. Je lace mes chaussures. Je me dirige vers la tente du petit-déjeuner. Encore 2 heures d'attente avant le grand départ. Mon coeur bat déjà la chamade.


La joyeuse troupe au départ!

Je suis sur la ligne de départ, je me tiens prêt. Nous sommes une poignée de coureurs, une poignée de coureurs décidés et concentrés, une poignée de coureurs qui vont bientôt s'engouffrer dans la forêt de cèdres et de sapins, une poignée de coureurs qui va aller taquiner les hauts plateaux du Moyen Atlas. Il fait beau, la température est encore clémente. D'un coup, la sirène de départ retentit couvrant le brouhaha ambiant. Je me lance dans les 32 kilomètres l'âme joyeuse et l'esprit léger, je passe la ligne de départ, je lance ma montre. Je me donne 4 heures pour revenir au point de départ. Je suis confiant. Je ne connais pas le parcours, je ne sais pas encore de quoi sera faite ma matinée.

Mon allure est bonne et je vois la colonne de coureurs s'étioler; le terrain est rocailleux et sec, mes pas soulèvent la poussière. Je me mets à penser à ma stratégie de course; j'aurais dû le faire avant. Je décide de ma stratégie : faux plats montants ou descendants, plats, je maintiendrai une allure de course, montées et descentes abruptes, je maintiendrai une allure de marche. Il faut tenir, il faut s'économiser pour les 3 jours.

1 kilomètre puis 2 kilomètres puis 3 kilomètres. Mes muscles s'échauffent, j'essaye de m'habituer à l'air sec de la montagne. Tout semble sous contrôle. Je lève le bras pour vérifier mon allure .... Mon pied tape contre une roche, je perds l'équilibre, je n'arrive pas à me redresser, je tombe sur tout le long de mon côté droit. J'ai peur de ne pouvoir me relever. Une traileuse s'arrête, me tend la main, me demande de me relever, je suis encore sous le choc, je me lève instinctivement, je me remets à courir instinctivement, j'essaye de retrouver mon souffle. Une douleur vient soudain me fouetter l'avant-bras. Je regarde mon bras droit, les plaies sont apparentes et sanguinolentes. La douleur sera mon équipière pendant les 20 kilomètres suivants.

Plaisir avant tout!
Je continue ma course, j'essaye de trouver une position à mon bras pour soulager un peu ma douleur. Les kilomètres s'enchaînent. Je prends une courbe à gauche au 7ème kilomètre et d'un coup, une 1ère montée impressionnante apparaît dressant fièrement sa courbe vers le ciel. Je me mets à marcher, rapidement essayant de garder un rythme soutenu dans ma marche. Quasiment 1 kilomètre de montée. Au bout de cette montée je découvre mon premier passage en forêt. Je me remets à courir, le parcours est ascendant, ombragé. Le sol est jonché de feuilles mortes, le paysage me coupe le souffle. La douleur continue à me tenailler, j'essaye de l'oublier, je serre les dents, je regarde devant moi au sol, imaginant tous les écueils que peut cacher ce tapis de feuilles mortes. La douleur est toujours là. Au 9ème kilomètre, nouvelle côte .... Je m'accroche. La pente est courte mais abrupte. La douleur est intense.

Au bout de la côte, j'atterris dans une vaste plaine. La distance entre les coureurs est déjà grande. Je m'abreuve du paysage. Le ciel est clair, le soleil est haut. Cela fait 1 heure que je cours. Je m'hydrate. Je me rends compte que mon sac à eau dorsal est percé. Depuis ma chute certainement. Je dois économiser mon eau. Il me reste encore 23 kilomètres à parcourir. Les herbes à mi-mollet qui couvrent cette vaste plaine sont grasses et j'ai l'impression qu'elles me collent aux pieds tellement j'ai peu l'habitude de faire du trail. Bientôt le 1er point de contrôle, bientôt le 1er point de ravitaillement. J'entre dans une vaste clairière parsemée de sapins et cèdres majestueux. Je souris malgré la douleur encore tenace. J'aperçois le 1er ravitaillement. L'ambiance champêtre et bucolique de ce ravitaillement me fait oublier ma douleur. Je m'arrête, je bois beaucoup, j'avale rapidement quelques fruits secs, je prends un quartier d'orange et je me relance dans ma folle 1ère étape. 10 kilomètres sont derrière moi. Ma respiration est bonne, mes jambes sont encore fraîches, mon avant-bras me fait horriblement souffrir.


Mon plaisir de courir dans la nature est à son paroxysme. Les kilomètres vont maintenant s'enchaîner sans que je m'en rende compte. J'arrive même de temps à autre à oublier ma douleur. Du 11ème au 15ème kilomètre, les paysages sont variés, le parcours change à plusieurs reprises de morphologie. Je cours alternativement en forêt dans des chemins ombragés, étroits et glissants, puis dans des clairières parsemées d'arbres où la lumière du soleil arrive à peine à pénétrer, puis dans de vastes plaines où les habituelles herbes m'agrippent à mi-mollet, puis dans des chemins secs et rocailleux. Le plaisir est total. Il fait chaud. Je cours seul depuis plusieurs kilomètres ayant comme seul repère les pierres peintes en bleu disséminées tout le long du parcours par les organisateurs. Pas de spectateurs sur ce trail, pas d'encouragements sur ce trail. Je croise uniquement des insectes et des lézards. Le silence est impressionnant, le silence est assourdissant. Je croise le regard étonné d'un macaque de l'Atlas haut perché sur son arbre. Je lui souris. L'air est sec, l'air est pur. Je me délecte, je continue à sourire.




Un ravitaillement très apprécié ....
Je suis à mi-chemin. Je viens de terminer mon 16ème kilomètre. Je suis en pleine forêt. J'aperçois au loin la sortie du boisé et une immense étendue baignée de soleil. Le 2ème ravitaillement est bientôt là. Encore 500 mètres. J'entre encore dans une vaste plaine .... J'aperçois au loin le ravitaillement, je recommence à voir des coureurs tellement cette plaine est immense. J'avance, j'accélère même. Je suis heureux de pouvoir boire. Depuis plusieurs kilomètres, je bois de mon sac à eau avec parcimonie. Je m'arrête au ravitaillement. Je fais un petit tour sur moi-même pour admirer le paysage. Je suis au milieu de nul part .... Je suis en plein dans le Trail des Cèdres .... Je savoure allègrement ce moment. Pendant ce moment magique, même ma douleur s'est envolée. Je suis sur un petit nuage. Je souris. Je tends la main pour une prendre une bouteille d'eau. J'étanche ma soif le regard fixé sur l'horizon. Je mords allègrement dans un quartier d'orange .... Je mords allègrement dans la vie.

Les organisateurs nous annoncent que les pentes infernales sont derrière nous et que dorénavant le parcours est globalement descendant. J'en suis ravi. Je me sens presque à l'arrivée, presque à la fin des 32 kilomètres. Je continue à courir, je continue à observer ma stratégie de course. Je boucle mes 20 kilomètres, je pense à mon père. Je ne saurais dire pourquoi à ce moment précis. Son image va m'accompagner sur 2 kilomètres. Jusqu'à ce qu'un coureur espagnol me rejoigne et vienne interrompre mes pensées. Nous sommes sur une descente assez forte au milieu de la forêt. Nous accélérons, nous profitons de la descente pour augmenter notre allure. Nous discutons un peu. Nous sommes contents. Nous restons ensemble jusqu'au 24ème kilomètre, jusqu'au 3ème ravitaillement. Ma douleur a disparu. Je suis content. Je prends de l'eau, un peu de ravitaillement solide et je reprends ma folle course vers l'arrivée.


Le plus gros est fait en cette 1ère journée!

26 kilomètres et 3 heures de course. A ce moment-là, je sais que j'ai réussi mon 1er pari. J'avais prévu d'être au 24ème kilomètre au bout de 3 heures de courses. J'ai 2 kilomètres d'avance sur mon plan de course. Je suis content. Je souris. J'ai oublié ma douleur. Je décide de ralentir un peu, d'économiser mes forces, de laisser de l'énergie pour les 2 prochains jours. Le parcours est maintenant globalement descendant mais reste fortement vallonné et rocailleux. Il faut tenir. Le soleil est à son zénith. Mon sac à eau est vide. Il faut tenir. Je parcours les 5 kilomètres suivants discutant avec d'autres coureurs, d'autres affamés de la course comme moi. Nous sommes contents de nous, nous sommes heureux d'être là. Nous sommes heureux de faire connaissance au milieu de nul part.

Le 31ème kilomètre m'accueille avec de l'ombre. L'arrivée est proche. J'apprécie encore une fois l'entrée dans la forêt. L'ombre me fait du bien, me rafraîchit. Je n'ai pas bu depuis 4 kilomètres. Je tiens mon allure. Je bombe le torse. Le parcours est en descente .... Plus que 200 mètres. Mêmes si les 100 derniers mètres sont une côte ascendante, je tiens mon allure. Je lève les bras. Je souris plus fort. Je passe la ligne d'arrivée. La 1ère étape est derrière moi, les 32 kilomètres sont derrière moi. Je regarde ma montre, 3 heures et 53 minutes. Pari gagné pour cette 1ère étape.


Le bonheur de l'arrivée!

Mon émotion est grande. Je frissonne. Je n'aurais pas de médaille aujourd'hui. Il faudra encore patienter, il faudra attendre la fin de la 3ème étape. Ma stratégie était certes conservatrice mais elle fut salvatrice. J'en suis content.

Je retrouve avec joie mes compagnons de chambre. Nos échangeons nos impressions. Nous partageons nos douleurs et nos joies. Nous ne boudons pas le plaisir de refaire la course, de parler de notre course. Ma chambrée m'encourage, me congratule. Je suis flatté. J'ai vraiment fait des rencontres extraordinaires. Nous sommes tout simplement heureux d'avoir franchi le cap de la 1ère journée. Le reste de la journée sera simple : repos, récupération, sieste, déjeuner, dîner, discussion entre coureurs. En plus de vivre la course, je vis dans la course. Encore une nouveauté pour moi.

La course n'est pas finie. Encore 45 kilomètres pour accrocher la médaille. La nuit sera agréable et réparatrice.

Cette course a eu lieu le 19 mai 2017 : 1ère étape des 3 étapes du Trail des Cèdres au Maroc.

1ère étape : Ras El Ma - Ras El Ma - 32km - D+ 600m

6 commentaires:

  1. Excellent zak ! Merci pour le partage ;) DB

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  2. No comment belle expérience à refaire inchallah manne prochaine

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. Merci pour ce beau partage..belle plume..tu me fais revivre ce beau trail des cedres mais cette fois ci assis paisablement sur mon fauteuil au bureau pendant ma pause dejeuner..je vois le trail sous un autre regard avec cette particularite d avoir eu la chance de vivre avec toi une partie de ton recit..pour ceux et celles qui ne le savent pas nous avons vecu ensemble 3 jours dans la meme chambre avec nos autres compagnons.la lecture est agreable..le style reposant..une belle plume..
    Merci Zachh
    Mohamed Azzouz

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  5. ne fais pas ton scofield, la suite vite champion ;-)

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  6. Bravo Zacc pour ton article, tu as oublié de mentionner que tu étais classé dans les top 10 pour cette première étape ;)

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